07 Juil Notre territoire vu par le Féret : 150 ans d’histoire viticole
On ne présente plus LE « Féret » de son vrai nom Bordeaux et ses Vins, institution bordelaise depuis 1850 qui répertorie et classe les « châteaux » du vignoble bordelais. C’est aussi une mine d’informations sur l’évolution des pratiques culturales et de l’encépagement depuis le milieu de XIXe siècle.
Les premières éditions recensent une multitude de cépages qui étaient alors plantés dans le vignoble bordelais. La crise du Phylloxera qui va ravager la quasi totalité du vignoble dans les années 1870 et 1880 va fortement réduire le nombre de ces cépages qui nous semblent si exotiques aujourd’hui : Petite Chalosse noire, Pignon, Amaroye, Grapput, Cruchinet, Blanc-Doux, Blanquette…
Le canton de Branne, un territoire à part en Entre-Deux-Mers
Une particularité de ces premières éditions est de ne pas inclure l’ex-canton de Branne (communes de Génissac, Nérigean, Moulon, Saint Germain du Puch, Grézillac, Saint Quentin de Baron pour n’en citer que quelques unes…) dans l’Entre-Deux-Mers viticole. Il en est de même pour les cantons de Sainte-Foy, Pujols et une partie de celui de Libourne. Pour les auteurs, ces cantons de la rive gauche de la Dordogne sont à étudier spécifiquement pour leur production déjà importante de vins rouges au XIXe siècle par rapport au centre de l’Entre-Deux-Mers qui produisait essentiellement du vin blanc à base d’Enrageat (Folle Blanche). Les vins blancs produits étaient secs mais aussi moelleux, voire même liquoreux.
Dans l’édition de 1874, à Saint Quentin de Baron, la production de vin rouge était de 250 tonneaux de vin rouge pour 1000 tonneaux de vin blanc, à Nérigean de 350 tonneaux de vin rouge pour 700 tonneaux de vin blanc. A Moulon, la production de vin rouge était supérieure à celle de vin blanc.
Un production de vins rouges de qualité toujours plus importante
Jusqu’aux éditions relativement récentes, les auteurs faisaient la distinction entre les vins de palus et les vins de côtes. Les palus sont une bande de quelques kilomètres de large aux abords d’un fleuve en l’occurrence la Dordogne dans notre canton pour les communes de Moulon et Génissac. Les vins produits dans les côtes sont décrits comme plus qualitatifs avec un meilleur contrôle des rendements.
Dans l’édition de 1922, la description faite des vins produits à Saint Quentin de Baron uniquement en côte est : « Vins rouges de plus en plus recherchés par le commerce, qui trouve dans les bons vins de cette commune des vins corsés dans le genre de ceux de Nérigean et des côtes de Génissac. Vins blancs supérieurs à ce qu’ils étaient avant l’invasion phylloxérique, généralement achetés par les grandes maisons de Bordeaux. ». Pour Nérigean : « Vins rouges des plus estimés du canton. Vins blancs également très recherchés ».
Pour les vins blancs, les auteurs jugent positivement au fil des éditions la tendance à abandonner les vins moelleux et liquoreux au profit des blancs secs produits avec des cépages qualitatifs. Dans l’édition de 1962, on peut lire que les cépages « d’appoint » (Merlot blanc, Colombard, Mauzac, Ondenc, Ugni Blanc) pourtant très présents disparaissent progressivement au profit du Sauvignon essentiellement.
La grande gelée de 1956 va accélérer la restructuration du vignoble. A partir des années 60, la production de vins rouges va devenir majoritaire dans le canton.
Malbec, le roi déchu
Au tout début du désastre du Phylloxéra, dans l’édition 1874, l’encépagement des vins rouges de côtes du canton de Branne était pour « les meilleurs crus » : 2/3 de Malbec (appelé Noir de Pressac dans nos communes) et 1/3 de Merlot, Mancin et autres cépages. Les vin blancs produits à 90 % avec de l’Enrageat. A titre de comparaison, le Malbec représentait 1/3 de l’encépagement à Saint Emilion.
Dans l’édition de 1874, le Malbec est décrit dans ces termes : « un sol argilo-calcaire, fort, riche et meuble est celui qui lui convient le mieux ; il demande surtout un sous-sol perméable pour que ses racines ne souffrent pas de l’humidité » « Dans les terres fortes il est très coloré, assez corsé ; mais il manque de bouquet et de finesse et ne produit jamais qu’un vin ordinaire.» « […] dans les vignobles les plus distingués [il est assemblé] pour donner au vin du moelleux, de la souplesse et de la couleur, en primeur. »
Le Malbec, souvent touché par la coulure et surtout devenu très sensible à la pourriture une fois greffé sur des portes-greffes résistants au Phylloxera sera supplanté à partir des années 1960 par le Merlot, cépage alors secondaire, beaucoup plus facile à cultiver. La sélection clonale permettra de réduire la sensibilité du Merlot à la coulure. Il jouera le même rôle que le Malbec dans les assemblages en apportant de la rondeur et de la complexité.
Cette tendance de fond, nous pouvons la constater à l’échelle de notre vignoble. Ce n’est pas un hasard si notre plus vieille vigne plantée par mon grand-père René Boutinon (voir photo) en 1960 est une parcelle de Merlot. En 1972, quand mes parents achètent la propriété d’Hostin, il y avait encore des vieilles parcelles de Noir de Pressac (Malbec) qui ont été replantées rapidement avec du Merlot.
Le Merlot, cépage autochtone du bordelais contrairement au Malbec, a pris aujourd’hui une place prépondérante dans l’encépagement de l’Entre-Deux-Mers et de la Rive Droite où de par sa précocité il est particulièrement adapté aux sols argilo-calcaires considérés comme « froids ».
Ces plus de 150 années d’histoire viticole vues à travers les éditions du Féret décrivent un territoire particulier en Entre-Deux-Mers qui a mis en valeur depuis longtemps des terroirs propices à l’expression des cépages rouges d’abord avec le Malbec avant la crise du Phylloxera puis avec le Merlot.
Références :
Bordeaux et ses Vins – IIIe édition 1874 – Ch. Cocks – E. Féret
Bordeaux et ses Vins – VIIe édition 1898 – E. Féret
Bordeaux et ses Vins – IXe édition 1922 – Ch. Féret
Bordeaux et ses Vins – XIIe édition 1969 – Cl. Féret
Bordeaux et ses Vins – XVe édition 1995 – M.-H. Lemay
Photo : René Boutinon dans les années 1960
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